Dans le cadre d’un bail emphytéotique, l’action en garantie décennale revient par défaut au preneur en cas de désordres affectant le bien. (Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile,
11 juillet 2024 n°23-12.491)
La 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 11 juillet 2024 n°23-12.491, revient sur la question du titulaire des actions en garantie décennale dans le cadre d’un bail emphytéotique.
Pour rappel, le bail emphytéotique, ou emphytéose, est un contrat issu du droit rural, régi par les articles L451-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime.
Il s’agit de la convention par laquelle le bailleur transfère au preneur (emphytéote), la charge de l’entretien et de la valorisation d’un patrimoine immobilier, pour une durée comprise entre 18 et 99 ans. Le bailleur lui confère un droit réel immobilier, qui est cessible, saisissable et susceptible d’hypothèque. Ce droit réel permet au preneur de tirer profit du bien, par un droit d’exploitation très étendu.
En contrepartie, l’emphytéote verse un loyer au bailleur et ne peut opérer aucun changement sur le bien qui diminue sa valeur. Surtout, l’ensemble des améliorations et constructions nouvelles deviennent à la fin du bail propriété exclusive du bailleur, sans indemnité.
Historiquement utilisé dans le domaine agricole, ce contrat a aujourd’hui un large spectre d’utilisation.
Le bail emphytéotique peut être par exemple utilisé pour l’installation et l’exploitation de panneaux photovoltaïques sur des bâtiments agricoles.
La Cour de Cassation fut saisi d’un litige dont les contours sont les suivants :
M.E est propriétaire de bâtiments agricoles. En 2010, la société Cadusun, maître d’ouvrage, confie à une entreprise, assurée par la société Sagena, la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques sur la toiture des bâtiments de M.E.
Des dysfonctionnements apparaissent et la société Cadusun assigne la société Sagena en réparation sur le fondement de la garantie décennale.
En cours d’instance, M. E et la société Cadusun concluent un bail emphytéotique portant sur l’emprise des panneaux photovoltaïques et leurs accessoires.
Devant la Cour de Cassation, la société Sagena soutient que la société Cadusun n’avait pas qualité pour agir car les droits réels dont disposent l’emphytéote ne peuvent lui permettre de bénéficier de la garantie décennale pour des désordres affectant le bien préexistant et survenus antérieurement à la signature du bail.
La défenderesse avance également qu’aucune stipulation expresse du bail ne confère à la société Cadusun la qualité de maître d’ouvrage, nécessaire pour exercer l’action en garantie décennale.
La Cour de Cassation rejette le pourvoi formé par la société Segana et délivre, après avoir rappelé la définition du bail emphytéotique, un considérant de principe particulièrement explicite :
« Compte tenu de son objet, sauf stipulation contraire, l’emphytéose emporte, par elle-même, dès l’entrée en jouissance par l’effet du bail et pendant toute la durée de celui-ci, transfert du bailleur au preneur des actions en garantie décennale et en réparation à raison des désordres affectant les ouvrages donnés à bail ».
La Cour livre un raisonnement contraire à celui invoqué par la société Sagena : aucune stipulation du bail ne réservant au bailleur l’action en garantie décennale sur les ouvrages existants au moment du bail, la société Cadusun avait, dès la conclusion du bail, qualité à agir sur ce fondement à raison des désordres affectant les panneaux.
Cette décision importante témoigne de la particularité du bail emphytéotique et de l’étendue des droits accordés à l’emphytéote. Détenteur d’un droit réel immobilier, le preneur est appelé à se comporter comme un « bon père de famille » vis-à-vis du bien qui lui a été confié, ce qui implique d’être détenteur, par défaut, des actions en garantie décennale.