L’article R. 4127-1 du code de la santé publique, dispose que :
« Les dispositions du présent code de déontologie s’imposent aux médecins inscrits au tableau de l’ordre, à tout médecin exécutant un acte professionnel dans les conditions prévues à l’article L. 4112-7 ou par une convention internationale, ainsi qu’aux étudiants en médecine effectuant un remplacement ou assistant un médecin dans le cas prévu à l’article R. 4127-88.
Conformément à l’article L. 4122-1, l’ordre des médecins est chargé de veiller au respect de ces dispositions.
Les infractions à ces dispositions relèvent de la juridiction disciplinaire de l’ordre ».
Ainsi, les médecins des établissements publics de santé peuvent voir engager, à la fois leur responsabilité civile, pénale, disciplinaire et déontologique.
En tant qu’agent d’un établissement public hospitalier, le médecin peut se voir infliger des sanctions disciplinaires par l’autorité hiérarchique. Ce régime juridique disciplinaire ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité déontologique de ces praticiens, sur le fondement des dispositions précitées du code de la santé publique.
La responsabilité des établissements publics de santé en tant que personne morale, relève des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. C’est sur ce fondement que les usagers victimes peuvent engager la responsabilité d’un centre hospitalier, pour accident médical, infection nosocomiale ou faute médicale.
La faute médicale présente plusieurs acceptions et un dommage corporel est très souvent la résultante d’une pluralité de fautes et notamment de fautes dans l’organisation du service.
Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré dans l’arrêt n° 289238 du 21 décembre 2007, que :
« Considérant, toutefois, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ».
Néanmoins, la responsabilité d’un établissement public de santé sur le fondement des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique et la responsabilité déontologique d’un praticien hospitalier, sur le fondement des dispositions de l’article R. 4127-1 du même code, relèvent de logiques juridiques différentes.
En effet, au cours de la prise en charge d’un patient, à un instant T dans le parcours de soins, le praticien hospitalier concerné a nécessairement accepté, de par sa fonction, de répondre à une demande, au sens des dispositions de l’article R. 4127-32 du code de la santé publique.
Il s’engage ainsi à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétent, en l’occurrence dans un centre hospitalier, les praticiens des autres services.
Dans le cadre d’une plainte d’un patient et de l’appréciation des faits par la chambre disciplinaire de première instance, les juridictions déontologiques analysent les faits au regard notamment de ces dispositions, mais également en prenant en compte le contexte général du fonctionnement du service public hospitalier.
Les faits de l’espèce, la prise en charge des patients, la continuité des soins et les obligations déontologiques des praticiens, doivent s’apprécier à la lumière de l’organisation du service, sous un aspect médical, mais également de gestion des ressources humaines et des modalités de communication entre les différents services de l’hôpital et notamment les process de délivrances des résultats d’hémocultures.
Ainsi, un médecin orthopédiste prenant en charge momentanément dans son parcours de soins, un patient polypathologique pour effectuer une ponction d’un genou à visée antalgique, ne peut se voir reprocher le fait de s’être abstenu de prescrire une antibiothérapie appropriée au regard des résultats de l’hémoculture, dont il n’a jamais eu connaissance.
Dans ce cas d’espèce, une chambre disciplinaire avait considéré que la prise en charge avait été conforme, sauf en ce qui concernait l’instauration d’une antibiothérapie. Elle notait néanmoins qu’il ne pouvait être reproché à ce praticien d’avoir refusé de prendre en charge la patiente, de ne pas l’avoir informée et de ne pas avoir assuré la continuité des soins.
La chambre disciplinaire de première instance ajoutait que :
« S’agissant de l’absence de prescription d’une antibiothérapie ayant entraîné la perte de chance, la mauvaise organisation du service après 17 heures qui n’a pas permis la prise de connaissance des résultats de la ponction et des hémocultures, paraît être la cause de l’absence de prescription ».
Cette solution apparaît en totale cohérence avec la décision de la chambre nationale disciplinaire n° 11556 du 16 juillet 2013, qui avait considéré que la cause exclusive, directe et certaine du décès étant une infection nosocomiale résultant des conditions d’hospitalisation, dès lors, les critiques relatives au fonctionnement défectueux de l’hôpital ne seraient constituées des manquements à la déontologie par le praticien poursuivi. Dans le cadre de l’organisation du service hospitalier d’hématologie, la patiente avait été prise en charge par ce service et par un ensemble de praticiens et non par le seul praticien mis en cause.
Néanmoins, le régime juridique de l’engagement de la responsabilité des centres hospitaliers, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ne peut être regardé comme faisant obstacle à l’engagement de la responsabilité déontologique d’un praticien.
L’organisation du service apparaît comme un contexte général permettant de mettre en lumière les conditions de réalisation d’un acte isolé. Or, cet acte isolé ne peut à lui seul concentrer la mise en jeu d’une responsabilité administrative collective.
Ainsi, la prise en compte de la qualité d’un service public hospitalier est un élément indispensable pour éclairer les membres des juridictions disciplinaires de l’ordre, sur l’engagement de la responsabilité déontologique d’un praticien.
La responsabilité déontologique du praticien va donc s’analyser au regard de l’organisation temporelle du service, de la place de ce praticien dans le parcours de soins du patient, de sa spécialité, de la portée de son acte et de sa place dans l’organisation de ce service.
Ces éléments permettront de considérer également la chaîne de communication entre les différents services et tout défaut d’organisation, même s’il n’est pas nécessairement étranger à la conscience professionnelle du praticien, relève principalement de l’organisation administrative du service public hospitalier en question.
Néanmoins, compte tenu de la spécificité et de l’autonomie du régime juridique de la responsabilité déontologique, la faute dans l’organisation du service hospitalier, ne peut être regardé comme une faute d’un tiers, permettant d’atténuer la responsabilité du praticien.
Thomas Porchet
DROUINEAU 1927
Avocat