Analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation
Sur la nécessité de l’existence d’un prix
L’existence d’un prix est un élément indispensable au contrat de vente. A défaut, le contrat ne peut pas revêtir une telle qualification. Il ressort de la conjugaison des articles 1591 et 1592 du Code civil que ce prix doit être déterminé et désigné par les parties ou laissé à l’estimation d’un tiers. Ce prix doit également être réel et sérieux. A moins d’être dérisoire à tel point qu’il équivaut à une absence de prix (vil prix), le Juge n’a pas à opérer un contrôle sur l’équilibre économique. C’est la liberté contractuelle.
Sur l’exigence stricte du paiement d’une somme d’argent
La question se pose en jurisprudence de savoir si le paiement du prix suppose le versement d’une somme d’argent contre le transfert de propriété de la chose.
En pratique, il n’est pas rare que les parties qualifient de contrat de vente un contrat prévoyant le transfert d’une chose contre l’accomplissement d’une prestation (par exemple : l’exécution de travaux, promenades hebdomadaires, fourniture de l’habillement nécessaire, suivi de la correspondance…). Toutefois, il est de jurisprudence constante et ancienne que le prix doit correspondre à une somme d’argent, de sorte que dans de telles hypothèses, la qualification donnée par les parties n’est pas retenue par le Juge, préférant la qualification de contrat innommé à titre onéreux par exemple.
La Haute cour a rappelé sa conception stricte dans de nombreuses décisions.
Dans un arrêt, alors que les parties avaient conclu un second acte notarié prévoyant le versement d’une rente mensuelle contre le transfert de propriété, en sus de l’exécution de travaux, il a été jugé que « après avoir défini la nature de la convention initiale et retenu que l’acte du 19 décembre 1962 a créé à la charge de [Monsieur A] de nouvelles obligations, la Cour d’appel, qui a nécessairement refusé d’admettre que l’ensemble de ces actes était susceptible d’être qualifié de vente et annulé pour insuffisance de prix, a légalement justifié sa décision. » (Civ. 1e, 12 oct. 1967, Bull. civ. I, n°292).
De la même manière, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que : « l’obligation de faire contractée et non exécutée par la société civile les genévriers ne pouvait pas, malgré une évaluation requise à des fins fiscales, être considérée comme un prix. » (Civ. 3e, 17 mars 1981, n°79-15388, Bull. civ. III, n°56).
Sur l’admission de l’accomplissement d’une prestation
Si d’apparence la question semble clairement tranchée, d’autres décisions de la Haute cour sèment le doute sur la stricte nécessité d’un paiement sous la forme monétaire.
En effet, des arrêts contemporains et postérieurs à ceux précités, ont retenu la qualification de la vente là où le prix en argent n’avait aucune importance dans l’esprit des parties.
Dans un arrêt de 1986, alors l’acquéreur s’engage à construire des bâtiments, il a été retenu que « la vente d’une chose [pouvait] être réalisée moyennant une contrepartie autre qu’un versement de somme d’argent » (Civ. 3e, 9 déc. 1986, n°85-13373, Bull. civ. III, n°177). Plus récemment, dans un arrêt de 2008, il a été décidé que « le contrat litigieux ne constituait pas un bail à nourriture mais un contrat de vente qui pouvait être résolu pour vileté du prix. » (Civ. 1e, 20 fév. 2008, n°06-19977, Bull. civ. I, n°56).
Ces arrêts remettent en cause la conception stricte de la qualification de la vente et permettent d’appliquer le régime de la vente à des contrats qui, en principe, devraient y échapper. Ce manque de lisibilité n’est pas nécessairement opportun dès lors qu’une telle application est ponctuellement envisageable en présence d’un contrat innommé.
Néanmoins, l’admission de l’accomplissement d’une prestation comme contrepartie du transfert de la chose est à nuancer à la lecture de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux, laissant à penser que dans une telle hypothèse le contrat ne revêt pas la qualification de contrat de vente.
Anna MAZZONETTO