Dans un arrêt très récent rendu le 12 novembre 2019, la Cour d’Appel de Poitiers vient rappeler les principes et l’étendue du contrôle du banquier tiré.
On rappellera que selon les dispositions des articles L. 131-1 et suivants du Code Monétaire et Financier, le banquier tiré doit contrôler la présence sur le chèque des mentions légalement prévues, à savoir : la dénomination de chèque, insérée dans le texte même du titre et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre ; le mandat pur et simple de payer une somme déterminée ; le nom de celui qui doit payer, c’est à dire le tiré ; l’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer ; l’indication de la date et du lieu où le chèque est créé ; la signature du tireur qui émet le chèque.
Il est également entendu que le banquier doit en outre s’assurer de l’absence d’opposition sur le chèque, de la régularité de la suite des endossements et plus généralement de l’absence de toute anomalie apparente.
C’est sur ce dernier point que le litige portait.
En l’espèce, une société qui exploitait un supermarché sous l’enseigne « Carrefour Market », était titulaire d’un compte bancaire ouvert dans les livres d’une banque locale.
Expliquant avoir été victime de la falsification d’un chèque émis au bénéfice d’un fournisseur, cette société a demandé à la banque de lui rembourser la somme de 43 000,20 € débitée le 30 mai 2016 de son compte puis par acte du 6 juin 2017, la société a saisi le Tribunal de Commerce de Poitiers aux fins de consécration de la responsabilité contractuelle de la banque et paiement de la somme de 43 000,20 €.
Par jugement prononcé le 28 mai 2018, le Tribunal de Commerce l’a débouté de sa demande, de sorte que la société a relevé appel.
Devant la Cour, la société faisait valoir qu’il était de jurisprudence constante que la responsabilité du banquier tiré était engagée lorsque le chèque concerné portait des traces de falsification du montant et/ou du nom du bénéficiaire, ce qui était le cas en l’espèce, peu important que l’effet bancaire fasse l’objet d’un traitement automatisé.
Selon elle, le banquier n’a pas rempli son obligation de vigilance et de vérification.
Elle indiquait en outre que le montant du chèque lui-même aurait dû suffire à attirer l’attention de la banque, l’ajout de 20 centimes d’euros à une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros, étant en soi inusuel.
Enfin, elle faisait valoir que le chèque litigieux comportait plusieurs anomalies apparentes et notamment : le trait sous le nom du bénéficiaire est effacé ; la somme inscrite en lettres dépasse anormalement les cases prévues, alors que la seconde ligne est partiellement vide ; les lettres effacées apparaissent en surcharge ; les écritures diffèrent entre les sommes initialement inscrites (c’est-à-dire 43,20 €) et la mention « mille € » rajoutée ensuite ; le grattage du papier est apparent.
En défense, la banque faisait valoir qu’il est de jurisprudence constante que si les chèques présentés à l’encaissement apparaissent réguliers et que rien ne permet de déceler le fait qu’ils auraient été falsifiés, la responsabilité de l’établissement bancaire n’est pas susceptible d’être engagée.
Qu’en l’espèce, la falsification du chèque litigieux était indécelable pour un employé normalement diligent et les anomalies évoquées par l’appelante n’apparaissent qu’après un examen approfondi de ce chèque ; aucune rature, aucun grattage, aucun effacement n’apparaît ici à l’œil nu et la falsification était particulièrement soignée ».
Subsidiairement, la banque faisait valoir qu’en raison de sa négligence, la société était à l’origine du dommage dont elle sollicite réparation ; ainsi la banque faisait valoir que la société n’a pas pris la peine de surveiller son compte régulièrement (le chèque a été encaissé près de deux mois après son émission) et n’a déposé plainte que plus de six mois après la découverte des faits dont elle se prétend victime.
Faisant une application scrupuleuse des textes et de la jurisprudence, la Cour fait droit à l’argumentation de la banque.
Elle fonde sa décision sur les dispositions des articles 1147 et 1937 du Code Civil ainsi que les articles L. 131-1 et suivants du Code Monétaire et Financier.
La Cour juge que :
« par application combinée de ces dispositions, constitue un paiement libératoire le paiement effectué par le banquier tiré sur présentation d’un chèque émis par son client, ne présentant aucune anomalie apparente. Ainsi la présomption de libération est-elle subordonnée d’une part à la vérification de la présence des mentions légales, d’autre part au contrôle de l’apparence de la régularité formelle du titre.
En l’espèce, étant rappelé que le litige ne porte pas sur les mentions légales du chèque émis par la société Jaldis, c’est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge a constaté que l’original du chèque litigieux ne permettait pas de déterminer le caractère apparent des falsifications. La cour ajoute que l’examen normalement attentif de l’original produit devant elle ne met pas en évidence de manipulation grossière des mentions de cet instrument bancaire, aucune caractéristique matérielle du chèque ne pouvant faire naître une sérieuse suspicion de fraude, de sorte que le Crédit Agricole pouvait se convaincre de sa régularité. A cet égard, le dépassement de la première ligne prévue pour l’indication en lettres de la somme à payer est d’un usage suffisamment courant pour ne pas être regardé comme une anomalie apparente ; par ailleurs, le montant lui-même de cette somme, en ce que quelques centimes d’€ sont ajoutés à une somme importante, ne peut être regardé comme une anomalie apparente ; enfin, le grattage de l’encre mentionné par la société Jaldis n’est mis en évidence que par un examen approfondi du chèque versé aux débats, examen approfondi qui n’est pas requis du banquier tiré ».