Cour de cassation, Chambre civile 2, 16 janvier 2020, 18-23.787
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir auparavant, la Loi du 5 juillet 1985 dite Loi Badinter, dont l’objectif affiché est de faciliter l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, est source de nombreux contentieux qui trouvent principalement leur origine dans l’appréciation de la notion même d’accident de la circulation (voir en ce sens : Se blesser en relevant un scooter constitue-t-il un accident de la circulation ?)
Mais plus encore, c’est la notion d’implication du véhicule dans un accident de la circulation qui cristallise les difficultés, et justifie l’introduction de multiples procédures judiciaires destinées à trancher la question.
En effet, l’article 1er de ladite loi prévoit que les dispositions qui y sont intégrées ont uniquement vocation à s’appliquer « aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ».
Si cette notion ne semble a priori pas poser de difficulté lorsqu’un contact est intervenu entre le véhicule terrestre à moteur incriminé et la victime par exemple, il en est tout autrement lorsque tel n’a pas été le cas.
C’est justement dans ce contexte que la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation a dû se prononcer sur la question.
En l’espèce, alors qu’il circulait sur la voie publique au volant d’un tracteur, Monsieur Olivier C. a constaté une fuite d’huile sur le véhicule, le contraignant à s’arrêter.
De l’huile s’étant dans le même temps déversée sur la chaussée, la rendant ainsi glissante, Monsieur Fabien J. a peu après perdu le contrôle de son véhicule après avoir dérapé sur la route, et avant de perdre la vie.
Considérant que le tracteur était impliqué dans l’accident au sens des dispositions de la Loi Badinter, la Cour d’appel de Saint-Denis a ainsi fait droit à la demande d’indemnisation formulée par la mère et la sœur de la victime au titre de leur préjudice d’affection à hauteur respectivement de 20.000 et 9.000 euros chacune.
Soutenant que l’accident s’était produit quelques centaines de mètres après l’endroit où le tracteur se trouvait immobilisé, de sorte que la distance entre les deux véhicules était de nature à exclure le lien de causalité entre la fuite d’huile du tracteur et l’accident, un pourvoi en cassation a alors été formé par le conducteur du tracteur ainsi que son propriétaire, tous deux parties à l’instance.
Aux termes de son arrêt du 16 janvier 2020, la Cour de cassation rappelle avec force le principe selon lequel « est impliqué, au sens de l’article 1 de la loi n 85-677 du 5 juillet 1985, tout véhicule ayant joué un rôle quelconque dans la réalisation de l’accident ».
Dès lors, le tracteur qui a répandu de l’huile sur la chaussée à l’origine du dérapage de la voiture de la victime est, à son sens, incontestablement impliqué dans l’accident.
Une telle solution témoigne une nouvelle fois de la volonté croissante des Juridictions d’avoir recours à une interprétation large des dispositions de la Loi Badinter : l’absence de contact entre deux véhicules, qui se trouvent de surcroît séparés de plusieurs centaines de mètres au moment de l’accident, ne suffit pas à exclure la notion d’implication dans un seul et même accident de la circulation.
Encore faut-il que pour retenir une telle implication, ledit véhicule ait véritablement joué un rôle dans la réalisation de l’accident, sans lequel la notion d’implication ne pourrait légitimement être retenue, sauf à voir la Haute Juridiction une nouvelle fois saisie de la question …
Camille Chabouty
Avocat
DROUINEAU 1927