Par arrêté du 24 octobre 2022, le préfet de la Corse-du-Sud, après avoir en vain mis en demeure le maire de Bonifacio de faire usage de ses pouvoirs de police, a ordonné l’évacuation avec interdiction d’habiter de deux immeubles situés place Manichella, sur la commune de Bonifacio.
Ces arrêtés, pris sur le fondement des pouvoirs de police générale, ont été contestés devant le Tribunal administratif de Bastia.
Le Tribunal cite les dispositions applicables des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du CGCT qui prévoient notamment qu’« En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels (…), le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances ».
La juridiction rappelle que ces dispositions permettent de prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde.
Et il semble, qu’en l’espèce, le caractère temporaire ou limité fasse défaut.
En effet, cet arrêté a été édicté sur la base d’un rapport « Cerema-Ineris-Brgm » réalisé en mars 2021 sur l’évaluation de l’aléa et la proposition de mesures de gestion du risque d’effondrement.
Ce rapport tire les conclusions suivantes :
- Les parcelles sont en zone d’aléa de risque fort au sein de laquelle la probabilité d’effondrement de la falaise est de 100 ans,
- Il est préconisé de prendre plusieurs mesures de réduction des enjeux humains, en réalisant des études complémentaires de la temporalité de l’aléa et de la structure des bâtiments, en prenant des mesures de confortement et en interdisant toute extension ou construction nouvelle,
- Il est également préconisé de réduire l’aléa en organisant des mesures d’étanchéification du sommet de la falaise et de gestion durable des eaux.
Le Tribunal ne fait que citer les conclusions du rapport sans en tirer de conséquences concrètes mais il ressort à notre sens de ce document que, si le risque est grave, il n’est pas imminent.
L’imminence du risque pourrait éventuellement ressortir de l’étude complémentaire visant à préciser les questions imbriquées de la temporalité de l’aléa et de la structure des bâtiments.
Quoi qu’il en soit, à la date de l’arrêté, l’imminence du risque pouvant justifier de l’évacuation des immeubles et de l’interdiction d’habiter, mesures les plus extrêmes portant gravement atteinte au droit de propriété, fait défaut.
En revanche, le Tribunal regrette que l’arrêté litigieux, qui ordonne l’évacuation avec interdiction d’habiter l’immeuble « sans en fixer la durée, présente le caractère d’une mesure permanente et définitive, privant le propriétaire de l’immeuble de l’usage de son bien ».
La juridiction en conclut que « Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que les mesures édictées par l’arrêté attaqué ne sont pas strictement proportionnées à leur nécessité ».
Cette conclusion révèle la reconnaissance par le Tribunal de la nécessité de prendre une mesure, ce dernier ne sanctionnant que le caractère disproportionné de la mesure choisie.
Il est possible de se poser la question suivante : est-ce seulement le caractère permanent de la mesure qui est sanctionné par le Tribunal ou bien le choix de la mesure d’évacuation et d’interdiction d’habiter en elle-même ? Autrement dit, si l’interdiction d’habiter avait été fixée jusqu’à l’obtention des résultats de l’étude complémentaire, l’arrêté aurait-il été annulé ?
L’analyse des conclusions du rapport semble plaider pour une remise en question du principe même de l’évacuation et de l’interdiction d’habiter.
Finalement, ce cas ne fait que rappeler qu’une mesure extrême ne peut être justifiée que par une situation extrême.
TA Bastia, 15 octobre 2024, n° 2201607
TA Bastia, 15 octobre 2024, n° 2300494