Dans une décision du 14 juin 2022 rendue sous le numéro 455 050, les 8° et 3° chambres réunies du conseil d’État sont venues apporter une contribution importante à deux aspects de la protection domaniale à savoir d’une part l’indispensable intervention du juge, et d’autre part l’absence totale d’effet d’une mise en demeure prononcée par l’administration. La société anonyme immobilière de la pointe du Cap Martin a bénéficié du 3 juillet 1968 au 31 décembre 1997 de plusieurs autorisations délivrées par le préfet des Alpes-Maritimes, lui permettant d’occuper une dépendance du domaine public maritime attenante à une parcelle lui appartenant, d’y construire une plage artificielle en béton, une planche plongeoir ainsi que deux canalisations alimentant une piscine d’eau de mer située sur sa propriété. Le 7 juillet 2015, le préfet des Alpes-Maritimes mettait en demeure la société occupante de procéder à la démolition de tous les ouvrages situés sur le domaine public maritime, et lui intimait l’ordre de libérer de toute occupation sur sa propriété une bande de recul de 3 m au droit de la limite du domaine public maritime. La société anonyme immobilière de la pointe du Cap Martin saisissait alors les juridictions administratives. Le tribunal admiratif de Nice le 12 décembre 2018 rejetait la demande de la société tendant à l’annulation de cette décision. Le 28 mai 2021, la cour administrative d’appel de Marseille considérait que la demande de libérer la zone de recul de 3 m au droit de la limite du domaine public maritime n’avait pas le caractère d’une décision faisant grief d’une part et d’autre part rejetait au fond les conclusions d’appel dirigées contre la mise en demeure de procéder à la démolition des ouvrages situés sur le domaine public maritime. Le conseil d’État était saisi et, au terme d’un raisonnement établi sur les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques et du code de justice administrative, rejette les demandes formées par la société anonyme immobilière de la pointe du Cap Martin. Tout d’abord estime-t-il qu’aux termes du premier alinéa de l’article L2132 – 3 du code général de la propriété des personnes publiques, nul ne peut bâtir sur le domaine publique maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition de confiscation de matériaux et d’amende. En application de ces dispositions énonce le Conseil d’État, les autorités chargées de la conservation du domaine public maritime naturel engagent des poursuites conformément à la procédure de contravention de grande voirie prévue par les articles L774 – 1 à L774 – 13 du code de justice administrative. Et dans le cadre de cette procédure, le contrevenant peut être condamné par le juge au titre de l’action publique à une amende ainsi que, au titre de l’action domaniale, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l’enlèvement des installations. Si le contrevenant ne s’exécute pas, il peut y être contraint par un jugement. L’administration ne peut intervenir sur le domaine public maritime que si et seulement si le juge l’y autorise. C’est toute l’originalité des procédures de contravention de grande voirie, destinées à défendre l’intégrité physique et matérielle du domaine public que d’être soumises à l’intervention absolument obligatoire du juge. Le Conseil d’État le rappelle en énonçant que ces dispositions font ainsi dépendre l’exécution des mesures de remise en état du domaine de l’accomplissement régulier d’une procédure juridictionnelle préalable et d’une condamnation à cette fin par le juge. C’est un point extrêmement important qui permet au Conseil d’État d’indiquer que la mise en demeure adressée par le préfet des Alpes-Maritimes au contrevenant était sans le moindre effet. Sur le plan procédural cela signifie que c’est une décision qui ne fait pas grief et qui n’est donc pas susceptible de recours. C’était une mise en demeure qui » tombait à l’eau « pourrait-on dire. Ainsi, dans la protection du domaine public maritime, il est toujours possible à l’autorité gestionnaire du domaine de mettre en demeure les contrevenants de libérer les lieux ou de le remettre en état, mais seule l’intervention du juge pourra effectivement permettre une telle action positive. Les mises en demeure sur le domaine public maritime ne valent donc pas grand-chose. Il convient, si la situation infractionnelle persiste, d’engager directement la procédure de contravention de grande voirie prévue par les articles L774 – 1 à L774 – 13 du code de justice administrative. Au préalable, mise en demeure ou pas, le dialogue est toujours nécessaire. Les enjeux d’occupation domaniale à des fins d’exploitation économique sont tels qu’évidemment, ledit dialogue peut être quelque peu brouillé. Il n’en reste pas moins que l’occupation domaniale privative est d’abord est avant toute une exception à la règle de base qui est l’usage du domaine public pour tous en tout temps et en tout lieu.
Auteur
Thomas DROUINEAU