Dans une décision rendue le 14 juin 2021 sous le numéro 20 MA02 803, la cour administrative d’appel de Marseille est venue apporter une réflexion particulièrement pertinente sur les modalités de sélection préalable à l’occupation domaniale à des fins d’exploitation économique. On sait que depuis la parution du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 1er juillet 2017, le paradigme de gestion de son domaine public par une collectivité a largement changé. C’est peu de dire que la révolution est en marche à cet égard ! En substance, l’occupation domaniale du domaine public d’une collectivité doit générer des revenus en relation avec les avantages de toute nature procurée à l’occupant ainsi que nous le rappelle l’article L 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques. La gestion dynamique de son domaine public par une collectivité est donc un impératif requis par la loi. Il en est évidemment de même de la gestion du domaine privé et c’est son patrimoine dans l’ensemble qu’une collectivité doit gérer de manière dynamique. C’est par la mise en place d’une direction du patrimoine totalement intégrée, accueillant à la fois les rédacteurs d’acte en forme administrative, une approche fiscale, et des compétences en matière d’estimation immobilière que la collectivité pourrait désormais s’organiser. L’apport de l’arrêt de la cour d’appel de Marseille est lié aux modalités d’occupation domaniale du domaine privé de la collectivité. Il s’agissait de mettre en place sur le domaine privé de la collectivité une activité de projection cinématographique et d’animation culturelle qu’une société entendait mener dans un bâtiment à édifier sur le fondement du bail attaqué. La cour administrative d’appel de Marseille relève que si le contrat en cause satisfait un besoin d’intérêt général d’ordre touristique et culturel qui n’est pas étranger à la commune, il ne vise pas à satisfaire un intérêt économique direct de celle-ci et ne saurait par conséquent être rangé au nombre des marchés publics.
Elles considère encore que si le contrat prévoit l’édification d’un cinéma et des ouvrages annexes, lesquels feront retour à la commune à l’expiration du bail conformément aux principes et dispositions régissant de tels contrats, le bail emphytéotique administratif contesté ne comporte s’agissant des ouvrages édifiés aucune prescription technique émanant de la commune susceptibles de caractériser un besoin précis par celle-ci et de faire regarder la collectivité comme le maître d’ouvrage direct de cette opération. Enfin, s’agissant de service public, la cour rappelle que l’activité de projection cinématographique et d’animation culturelle que la société entend mener dans le bâtiment édifié ne peut être qualifiée de service public par la loi. Raisonnant par élimination, la cour considère que si cette activité peut être regardée comme présentant pour la commune le caractère d’une activité d’intérêt général, ni le bail emphytéotique ni la délibération l’approuvant ne comportent de stipulations impartissant des objectifs précis à la société d’exploitation ou assurant le contrôle de cette activité par la commune.
Dans une configuration assez classique sur ce type de montage, une convention de subventions avait été également conclue, parallèlement au bail emphytéotique administratif. La cour rappelle que si la convention de subvention approuvée par le conseil municipal en contrepartie du versement d’une subvention à la société d’exploitation prévoit la réalisation d’un certain nombre d’entrées hebdomadaires ou l’obtention d’un classement art et essai, ces conditions qui ressortent d’un contrat distinct n’impliquent aucun contrôle effectif de la commune sur les conditions dans lesquelles la société mène ses activités dont la commune au demeurant n’a pas pris l’initiative et sur l’organisation desquelles elle n’exerce aucun droit de regard susceptible de caractériser une volonté de confier une mission de service public à la société. Il y a là des considérations extrêmement intéressantes sur la distinction qu’il y a lieu de faire entre marché public et délégation d’une part, les contrats relevant de la commande publique, et ceux qui relèvent de la gestion domaniale le bail emphytéotique administratif mais également de l’apport de subventions par une commune à travers une convention d’objectifs. C’est un schéma très classique que la cour vient ici valider sur le domaine privé de la collectivité. La cour ajoute enfin que dans la mesure où le bail emphytéotique administratif attaqué ne confie aucune activité de service public à la société d’exploitation qui n’exerce par elle-même aucune activité de service public, il convient de constater que les parcelles domaniales objet de ce contrat ne sauraient être regardées comme appartenant au domaine public en raison de leur aménagement en vue de l’exercice d’un service public.
Dès lors, et dans la mesure où les parcelles en question ne relèvent pas du domaine public, la procédure de passation du contrat attaqué n’avait pas à respecter les dispositions de l’article L2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques relatif aux procédures de sélection préalable. Aucune mesure de sélection préalable n’avait à être mise en place. Cet arrêt est le très bienvenu pour mettre un terme aux velléités qu’avait eu en son temps le gouvernement de répondre dans une réponse ministérielle qui avait jeté le trouble, que même sur le domaine privé, l’occupation domaniale à des fins d’exploitation économique devait être précédée de mesures de sélection préalable. (réponse ministérielle publiée au JO du 29 janvier 2019 page 861). Tel n’est pas le cas. Il conviendra donc dans l’approche d’une relation domaniale entre une collectivité et un exploitant économique, d’avoir égard à la qualification du domaine d’une part, mais également aux modalités d’exercice de son activité économique par la société occupante. Ce droit est en construction, il est en plein développement, les communes ont à cœur, avec les intercommunalités, de déployer une activité économique vertueuse sur leur territoire à travers une relation saine et équilibrée avec des opérateurs économiques. Elle cultive l’intérêt général et si l’on sait que tout service public est d’intérêt général, tout ce qui est d’intérêt général n’est en revanche pas service public. C’est le cas de manière incontestable d’une activité cinématographique et de loisirs culturels, comme de bien d’autres activités qui, toutes d’intérêt général, ne relèvent pas pour autant du service public.
Auteur
Thomas Drouineau