Dans une décision du 14 septembre 2021, la cour d’appel de Rennes est venue sous le numéro 20 04 432 apporter de très utile précisions sur les conséquences de l’érosion naturelle du littoral. L’État était recherché, à Perros-Guirec, en sa qualité de propriétaire d’une parcelle de terrain étroite, en forte déclivité, dépendant de son domaine privé, située entre le domaine public maritime sur lequel était implanté un mur en parties éboulé et un fonds appartenant à une association.
Cette association, propriétaire d’une parcelle de 17 584 m² surplombant la parcelle appartenant à l’État recherchait la responsabilité de ce dernier après qu’une mesure d’expertise ait été ordonnée. Cette expertise avait conclu à la nécessité de réaliser de très importants travaux de confortement sur le mur, édifié sur le domaine public maritime bordant l’estran sur 250 m, dont 116 m au droit de la parcelle appartenant au domaine privé de l’État. L’expert a constaté ce phénomène inéluctable consistant en des glissements de terrain, affectant la partie supérieure de la parcelle de l’État. Il impute ce phénomène à l’action des vagues et donc à une érosion littorale, ajoutant que le ruissellement et l’infiltration des eaux pluviales jouent un rôle secondaire dans l’érosion de la falaise.
D’importants travaux de surveillance et de reprise sont donc édictés, l’association envisageant alors, dans le cadre d’une action en référé, de mettre à la charge de l’État ces travaux de confortement pour plus de 400 000 € hors-taxes. La cour d’appel de Rennes vient infirmer l’ordonnance ainsi rendue au visa de l’article 835 du code de procédure civile. Cet article énonce, dans son alinéa numéro deux, que dans les cas où l’existence d’une l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. L’association se prévalait d’un dommage imminent au titre de l’éboulement de la falaise. La cour rappelle que les bâtiments édifiés sur la parcelle de l’association ne sont pas menacés par le recul de la falaise, l’association ne souffrant actuellement d’aucun préjudice.
Au regard de la superficie de la parcelle, 17 584 m², la propriété de l’association est librement utilisable, de simples modalités peu coûteuses permettant d’écarter le public des zones naturellement instables. L’apport majeur de cet arrêt est lié à la qualité de la qualification juridique de l’évolution inexorable de l’érosion littorale. La cour rappelle que si l’expert a relevé que l’évolution inexorable de l’érosion littorale, qui n’est pas propre à la zone concernée, affectera à terme la parcelle numéro 150 appartenant à l’association, le caractère imminent, ou même temporellement prévisible de cette échéance n’est pas établi. Ou comment dire que, jusqu’ici tout va bien… Les travaux de confortation de la falaise sollicités en référé, d’ampleur indéterminée puisqu’il est fait état de nouveaux éboulements, excèdent par leur coût, 402 500 € hors-taxes pour 30 m sachant qu’elle fait une longueur de 120 m, de simples mesures conservatoires ou de remise en état et ne sont pas justifiés par la caractérisation d’un péril imminent. La cour ajoute que l’érosion naturelle de la falaise a pour cause principale l’action de la mer qui en sape le pied, laquelle est conjuguée avec celle des eaux souterraines émanant du fonds supérieur qui fragilise les sols. Et, dans un raisonnement implacable en droit, la cour rappelle qu’il n’existe aucune obligation de lutter contre l’érosion naturelle des sols. Plus particulièrement elle énonce : « aucune obligation de lutter contre l’érosion naturelle des sols n’est édictée par les dispositions du Code civil. »
Pas davantage la loi du 16 septembre 1807 réglementant le régime de protection des propriétés contre l’action des flots n’est applicable. Ainsi, relevant qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’existe en la matière, la cour énonce que ni l’État, ni les communes, ni les propriétaires des fonds concernés non l’obligation d’assurer la protection de leur propriété contre l’action naturelle des eaux. La distinction est faite, dans une approche particulièrement subtile, entre ce qui relève du défaut d’entretien normal susceptible de causer un préjudice aux tiers, et ce qui relève de l’action des éléments naturels constituant une cause étrangère. Il n’y a dans la dégradation de la parcelle appartenant à l’État, et menaçant à terme évidemment celle de l’association, aucun défaut d’entretien et donc aucune faute imputable au propriétaire qu’est l’État.
Pas davantage cette inaction n’est-elle en relation de causalité manifeste avec un dommage susceptible d’affecter à terme le fonds supérieur. Enfin, dans un souci pédagogique particulièrement louable, la cour rappelle qu’en l’absence de caractère manifestement anormal du trouble, qui est la conséquence inéluctable de la situation géographique des lieux et de la nature des sols, ainsi qu’en l’absence de démonstration d’un rôle actif de la parcelle appartenant à l’État dans la survenance de ce dommage, la théorie du trouble anormal de voisinage n’a pas vocation évidente à s’appliquer. On le voit, les demandeurs avaient tout tenté pour caractériser la responsabilité de l’État en invoquant à la fois la théorie du trouble anormal de voisinage, la loi de 1807 sur la protection des propriétés privées contre l’action des flots, le trouble lié à la responsabilité délictuelle… Rien n’y a fait, la cour d’appel relevant que l’action naturelle des eaux, et la situation géographique des lieux, expliquent seuls l’inéluctable évolution de l’érosion littorale.
Auteur
Thomas DROUINEAU