Fonction publique : un lanceur d’alerte doit être désintéressé et de bonne foi
L’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dispose que :
« I.-Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance (…) ».
L’article 8 de la même loi, dispose que :
« I.-A.-Les personnes physiques mentionnées aux 1° à 5° du présent A qui ont obtenu, dans le cadre de leurs activités professionnelles, des informations mentionnées au I de l’article 6 et portant sur des faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans l’entité concernée, peuvent signaler ces informations par la voie interne, dans les conditions prévues au B du présent I, notamment lorsqu’elles estiment qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’elles ne s’exposent pas à un risque de représailles. (…) ».
Par son jugement n° 2002398 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Poitiers avait eu à connaitre d’un litige élevé par un ancien directeur général d’une chambre d’agriculture qui soutenait que son licenciement caractérisait la mise en œuvre de représailles liées à sa qualité de lanceur d’alerte.
Après avoir apprécié les différents échanges et les faits de l’espèce, le tribunal administratif de Poitiers rejetait la requête de l’ancien directeur général en considérant que :
« Par suite, il n’existe aucun lien de causalité clairement établi entre l’alerte que le requérant indique avoir donnée et la dégradation de ses relations avec la chambre d’agriculture ayant conduit à la décision de mettre fin à ses fonctions. M. X ne pouvant, dès lors, se prévaloir de la protection prévue par le statut de lanceur d’alerte, les conclusions à fin d’indemnisation présentées à ce titre ne peuvent qu’être rejetées ».
Le requérant de première instance a alors interjeté appel et la Cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé l’appréciation des premiers juges, dans son arrêt n° 21BX03638 du 21 décembre 2023.
La Cour a considéré, au visa des dispositions précitées, que :
« Toutefois, M. X ne produit pas d’éléments suffisamment précis et circonstanciés pour étayer ses allégations et les délits qu’il dénonce et les rendre suffisamment tangibles et il ressort des pièces du dossier que des désaccords profonds survenus avec sa hiérarchie existaient bien avant ce signalement et portaient sur l’opportunité de rendre publics les dysfonctionnements constatés et sur la rémunération et les avantages en nature souhaités par M. X. Il en est résulté une perte de confiance de sa hiérarchie qui n’a jamais nié ni ses qualités professionnelles ni la réalité des dysfonctionnements constatés. Dans ces conditions, et alors que les alertes signalées seraient « toujours en cours », M. X ne peut être regardé comme ayant fait état, de manière désintéressée et de bonne foi, ni d’un crime ou d’un délit, ni d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général au sens des dispositions de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui définit le statut juridique du lanceur d’alerte. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige méconnaîtrait les dispositions précitées en tant qu’elle ne lui reconnait pas le statut de lanceur d’alerte doit être écarté ».
La Cour s’est donc livrée à une appréciation concrète et objective de l’ensemble de la situation pour déterminer les motivations de l’agent se qualifiant comme lanceur d’alerte.
Ainsi, le statut de lanceur d’alerte s’apprécie in concreto et le caractère désintéressé et de bonne foi de l’alerte, apparaît comme un facteur déterminant de la définition.
Il en résulte qu’un agent ne peut utilement « alerter » des éléments relevant de la marge dont dispose une autorité hiérarchique dans l’organisation de son service. Il ne peut donc élever en alerte des circonstances qui s’apparentent à des désaccords ou à ce que l’agent considère comme des dysfonctionnements administratifs et de politiques de gouvernance.
Il appartient donc à l’agent de mesurer l’ensemble de ces circonstances pour présenter dans le cadre d’une alerte des éléments mesurables, tangibles et appréciables, en excluant toute circonstance seulement hypothétique et dont les contours ne sont pas sérieusement définissables ou qu’ils relèvent du pouvoir légitime d’organisation du service.
Ces éléments caractériseront donc la bonne foi de l’agent dont la motivation désintéressée ou non, sera un facteur déterminant pour la juridiction administrative, dans l’appréciation de la légitimité de ce qui peut être qualifié d’alerte.
Ainsi, il appartient au requérant de soumettre à l’appréciation de la juridiction, des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a relaté de bonne foi un signalement constitutif d’une alerte.
Il incombe alors ensuite à l’administration mise en cause de démontrer d’une part, que l’agent ne remplit pas les conditions pour être considéré comme lanceur d’alerte et d’autre part, qu’en tout état de cause, les décisions prises à son égard sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à ses déclarations ou à ses témoignages.