Le transfert aux collectivités de la gestion des digues domaniales en 2024 : un héritage encombrant ?
Le 27 janvier 2024, la gestion des digues domaniales sera transférée aux collectivités au titre de leur compétence GEMAPI. Ce transfert est lourd d’enjeux et de conséquences.
- La raison de ce transfert : la compétence GEMAPI
La compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est confiée aux intercommunalités depuis la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 n°2014-58 (article L211-7 du Code de l’environnement). L’objectif était de clarifier l’exercice de missions dispersées et de regrouper, au sein du bloc communal, les compétences d’aménagement et celles de gestion des milieux aquatiques.
La compétence GEMAPI comprend la défense contre les inondations et contre la mer, ce qui implique la surveillance et l’entretien des digues, ces rempart marins ou fluviaux entre l’eau envahissante et les populations.
Une multiplicité́ d’acteurs s’est historiquement impliquée dans la gestion des digues : l’Etat avec 1500 km de digues dites domaniales, les collectivités, des propriétaires privés, opérateurs industriels…
L’idée était donc de mettre fin à cette gestion morcelée par la création d’une unique compétence exclusive et obligatoire dont les intercommunalités sont les détentrices.
S’agissant des digues domaniales, la loi MAPTAM a prévu une phase transitoire de 10 ans : les services de l’Etat continuaient d’en assurer la gestion pendant une durée maximale de 10 ans (article 59 IV de la loi). Au 27 janvier 2024 donc, la gestion de ces digues sera attribuée aux EPCI. Celles-ci peuvent choisir de procéder au transfert avant cette date.
- Quels sont les enjeux en présence ?
Le transfert de la gestion des digues domaniales est un enjeu politique, de sécurité et financier.
D’une part, l’attribution de la compétence GEMAPI s’inscrit dans les lois de décentralisation et cherche donc à accorder plus d’autonomie aux collectivités et à territorialiser une question complexe.
D’autre part, la gestion des digues est un enjeu de sécurité majeur : par l’imperméabilisation des sols et le dérèglement climatique, le risque d’inondation tend à augmenter. Le bon état des digues est donc essentiel à la protection des populations. Malgré le délai de 10 ans laissé à l’Etat pour assurer les travaux de mise en conformité avant le transfert, les digues ne seront pas transmises en bon état dans tous les territoires. De plus, la communication entre l’Etat et les collectivités n’a pas été égale partout en France : certains élus locaux ne disposent pas de visibilité sur le linéaire et l’état des ouvrages dont ils récupéreront la gestion en janvier…
Enfin, l’enjeu est aussi et surtout financier. La gestion des digues est très coûteuse. Dans la vallée de la Loire – région la plus concernée par ce transfert car détenant 550 km de digues domaniales – les élus estiment que 350 millions d’euros doivent être investis sur 20 ans pour assurer le coût de fiabilisation des digues, sans compter le coût de fonctionnement, entre 6 et 8 millions par an.
- Quels sont les moyens alloués aux collectivités ?
Ce transfert étant un transfert de gestion, il n’implique pas de compensation financière, à la différence du transfert de compétence (article 72-2 de la Constitution). C’est bien l’ECPI qui est compétent de manière exclusive et qui récupère « seulement » la gestion.
Pour assurer cette charge, les intercommunalités devront faire appel à leur taxe GEMAPI, intégrée à la taxe foncière, qu’elles peuvent lever depuis 2018. Mais pour les élus, cette taxe limitée à 40 euros par habitant n’est clairement pas dimensionnée pour couvrir des investissements importants.
La faiblesse des moyens alloués aux collectivités peut être relativisée : il était convenu que les collectivités récupéreraient des digues en bon état, dont les travaux de mise en conformité incomberaient à l’Etat (article 59 de la loi MAPTAM). Cependant, dans la Vallée de la Loire, les ouvrages nécessitent des travaux importants, non réalisés par l’Etat. Les élus ont donc demandé par anticipation un concours financier au titre de la solidarité nationale. Le fonds Barnier (prévention des risques naturels majeurs) sera mobilisé dans ce cas. L’Etat incite également les EPCI à souscrire un Aqua Prêt auprès de la Banque des Territoires.
S’agissant des moyens humains, la loi MAPTAM ne prévoit pas le transfert de personnels qualifiés. Les EPCI doivent donc développer une réelle compétence technique en la matière. L’Etablissement public Loire recrute 12 personnes pour renforcer ses moyens en termes d’ingénierie et d’exécution technique.
La gestion des digues domaniales serait-elle un héritage encombrant ?