La commune de Cap d’ail dans les Alpes-Maritimes a conclu avec des occupants de son domaine public une convention d’occupation précaire du domaine communal le 15 février 2016. Les occupants ont demandé au tribunal, après sa mise en œuvre, de déclarer nulle ou d’annuler cette convention d’occupation précaire ou, à tout le moins, d’annuler certaines clauses de cette convention notamment celle qui écarte l’existence d’un fonds de commerce au titre de cette occupation, en faisant injonction à la commune de régulariser la situation par une nouvelle convention. Le tribunal administratif de Nice le 26 juin 2018 a rejeté cette requête. Par un arrêt du 9 avril 2021, la cour d’appel de Marseille a rejeté la requête en appel formée par les occupants. Ces derniers ont donc saisi le conseil d’État en demandant l’annulation de l’arrêt, l’annulation du jugement, et à titre principal de déclarer la juridiction administrative incompétente pour statuer sur le litige. À titre subsidiaire, ils ont demandé que soit annulée la convention litigieuse en tant qu’elle écarte la constitution d’un fonds de commerce et exclut un droit à indemnisation. Le conseil d’État rejette le pourvoi et condamne les demandeurs à verser des frais irrépétibles à la commune de Cap d’ail. Statuant sur la compétence de la juridiction administrative, il rappelle la définition du domaine public qui avait été donnée avant l’entrée en vigueur de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques. L’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition qu’il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. Ce rappel étant fait, le conseil d’État analyse alors la situation de fait. Il résulte des pièces du dossier que la parcelle sur laquelle est situé l’établissement des requérants appartenait à un terrain appartenant à la commune de Cap d’ail depuis 1951, pour la création d’un espace libre ouvert au public. Le conseil d’État constatait également que les escaliers avaient été construits sur ce terrain pour permettre au public de rejoindre, depuis la voie communale, le chemin des douaniers aménagé sur les rochers surplombant la mer. Il ajoute que la commune y avait installé une aire de pique-nique des toilettes et une douche. Dans sa souveraine appréciation, la cour d’appel, comme le tribunal administratif, avait pu estimer que ce terrain étant directement affecté à l’usage du public, appartenait par suite au domaine public de la commune. La cour administrative d’appel de Marseille est approuvée pour avoir ainsi qualifié les faits. Le Conseil d’Etat en déduit la compétence de la juridiction administrative. Puis il en vient à examiner la validité de la convention d’occupation. Il rappelle tout d’abord que les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Dans cette hypothèse, il appartient au juge d’apprécier l’importance des éventuelles irrégularités constatées et les conséquences de ces irrégularités. En considération de la nature de l’illégalité commise, et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, le juge peut alors décider soit que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, soit, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que cette décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, prononcer la résiliation du contrat ou son annulation. On le voit, le juge administrative prend un luxe de précautions pour rappeler que le principe initial est bien celui de la stabilité des relations contractuelles sur le domaine public. Car en effet, ce n’est qu’en considération de la nature de l’illégalité commise d’une part, de la vérification que la décision du juge ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général d’autre part, que les irrégularités constatées peuvent conduire à la résiliation ou à l’annulation du contrat. Enfin il en vient à l’analyse de l’article L 2124 – 32 – 1 du code général de la propriété des personnes publiques. Cet article dispose : « Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre. » C’est la marque de ce code que d’être rédigé de manière concise et particulièrement claire pour la plupart de ses articles. Celui-ci est dénué de toute ambiguïté. Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre. On le sait, ce texte est issu de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises. Il est applicable à la convention en litige qui a été conclue après l’intervention de cette loi. Le législateur a entendu reconnaître aux occupants d’une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d’exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d’occupation à condition qu’elle dispose d’une clientèle propre distincte des usagers du domaine public. Là encore, c’est bien le régime juridique applicable à l’article précité, particulièrement important car il permet en effet la reconnaissance d’un fonds de commerce sur le domaine public. Le conseil d’État approuve de nouveau la cour administrative d’appel de Marseille, qui n’a pas commis d’erreur de droit, en reconnaissant par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que la clause figurant à l’article 3 de la convention litigieuse selon laquelle l’occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d’un fonds de commerce formait un ensemble indivisible avec les autres stipulations. En jugeant que la méconnaissance par cette clause des dispositions de l’article L 2124-32-1 du code général de la propriété des propriétés ne pouvait constituer un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. C’est un apport important qui est donné par le Conseil d’État. En effet le Conseil d’Etat considère que, nonobstant l’illégalité manifeste d’une clause, et dans la mesure où elle est enchâssée dans un ensemble indivisible, il ne peut y avoir d’annulation de la totalité du contrat ni même de cette clause en particulier. Dans cette situation par conséquent, les titulaires de la convention d’occupation précaire du domaine public ne pourront pas bénéficier d’un fonds de commerce. Certes, la convention est à cet égard illégale. Mais cette illégalité n’est pas d’une telle gravité qu’elle puisse entraîner la nullité de la convention. C’est un point important car cela vient donner une lecture très claire de la posture du Conseil d’État face à l’existence des fonds de commerce sur le domaine public. On pourrait dire en quelque sorte les fonds de commerce sont » tolérés » mais que leur existence pleine et entière n’est pas totalement admise sur les domaines publics des collectivités. Il y a là un effort à faire dans la rédaction des conventions d’occupation temporaire en proscrivant toute forme de standards ou de modèles. Chaque cas est particulier et chaque situation, notamment à l’issue des mesures de sélection préalable requises par les mentions article L21221 – du code général de la propriété des personnes publiques, est unique. L’apport des différentes lois qui sont venues encadrer l’occupation domaniale, et de la jurisprudence, incontestable source du droit, doit être pleinement pris en considération dans la rédaction de chacune des conventions d’occupation domaniale pour les collectivités et établissements publics concernés. La valorisation du domaine public passe par son exploitation économique, et la stabilité contractuelle, au demeurant bien protégée dans cette hypothèse par le conseil d’État, est une nécessité absolue. C’est par la qualité de la rédaction, et la transparence des négociations que cette stabilité s’acquiert.
Auteur
Thomas DROUINEAU