Les conventions de délégation de service public sont toujours conclues et exécutées aux frais et risques du délégataire.
Cependant, en raison de la crise sanitaire violente et longue qui frappe notre pays, les délégataires sont en grande difficulté pour certains d’entre eux , car il n’y a purement et simplement aucune exploitation.
Les collectivités sont déjà ou vont être dans les prochains jours destinataires de demandes indemnitaires de la part des délégataires en péril.
Or, les recettes prévisionnelles tirées de l’exploitation du service public sont réputées permettre au délégataire d’assurer son équilibre économique, sur la base du compte d’exploitation prévisionnelle annexé à la convention.
Comment, dans ces conditions, assurer l’équilibre financier du contrat ?
Les contrats bien écrits bénéficient de mécanismes destinés à assurer le maintien de l’équilibre financier du contrat, car cela relève d’un droit appartenant au délégataire.
A défaut de tels mécanismes, il faut s’en rapporter à l’article L6 3°du code de la commande publique qui dispose :
« Lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant qui en poursuit l’exécution a droit à une indemnité. »
La doctrine, commentant cette disposition, rappelle que dès lors qu’une collectivité publique décide de déléguer un service public, elle doit reconnaître à son cocontractant la volonté de tirer un profit de la mise en œuvre de la convention, et ce dans l’intérêt même de la bonne exécution de la mission de service public. [1]
En jurisprudence, de très anciennes décisions ont décrit le fonctionnement de la théorie de l’imprévision, désormais codifiée à l’article L6 3° du code de la commande publique.
Deux arrêts sont fondateurs à savoir d’une part la décision « compagnie générale d’éclairage de Bordeaux » du 30 mars 1916 et la décision « compagnie des tramways de Cherbourg » du 9 décembre 1932. [2]
Si chaque partie est réputée avoir tenu compte de l’aléa normal inhérent à tout contrat, il n’en demeure pas moins que lorsque l’événement engendre un déficit important qui dépasse l’aléa normal du contrat, alors les parties contractantes sortent des prévisions du contrat et entrent dans une situation extra contractuelle.
Ainsi, si l’événement qui vient remettre en cause les conditions d’exécution du contrat est imprévisible (1), indépendant de la volonté des cocontractants de l’administration (2), aboutit à un véritable bouleversement de l’économie du contrat (3), et présente un caractère temporaire (4), le cocontractant n’ayant par ailleurs pas cessé d’exécuter ses obligations (5), alors il est loisible à ce dernier d’invoquer l’imprévision.
Si les cinq conditions précitées sont retrouvées dans les modalités d’exécution du contrat de délégation de service public, au cours des mois de mars avril et mai 2020, plus particulièrement du 12 mars au 11 mai, et depuis le 29 octobre 2020, alors elles ouvrent droit au délégataire au versement d’une indemnité.
Sur l’imprévisibilité de l’événement.
La crise sanitaire, au moment de la conclusion des contrats de concession, ne présentait aucun caractère prévisible.
En effet, si l’événement présente un caractère prévisible, la théorie de l’imprévision ne joue pas. [3]
L’événement est indépendant de la volonté des parties.
La fermeture des sites touristiques du 12 mars au 11 mai 2020, puis à partir du 29 octobre 2020, décidée par le gouvernement en raison de la crise sanitaire constitue un événement totalement indépendant de la volonté des parties contractantes
L’événement aboutit à un bouleversement majeur de l’économie générale du contrat.
Le compte prévisionnel d’exploitation, fondement de l’équilibre financier des contrats prévoit les évolutions du chiffre d’affaires et du résultat de l’exploitation.
Il anticipe également un nombre de visiteurs.
L’économie générale de ces contrats est fondée sur les recettes prévisionnelles tirées de l’exploitation des sites, lesquelles recettes sont réputées permettre au délégataire d’assurer un équilibre économique.
Encore faut-il qu’il y ait des recettes…
Dès lors que les recettes ne permettent absolument pas de couvrir les charges d’exploitation, le déséquilibre financier semble évident
L’événement entraîne un bouleversement temporaire de l’économie du contrat.
Le bouleversement de l’économie du contrat est lié à la décision de fermeture administrative des sites, laquelle fermeture n’a pas présenté de caractère définitif.
Le cocontractant n’a pas cessé d’exécuter ses obligations.
Au titre des conventions, le délégataire assure la continuité du service public dont il a la charge
Si tel est bien le cas, alors en effet le délégataire a la possibilité d’invoquer l’imprévision, et d’en tirer argument pour obtenir une indemnisation.
Pour ses redevances domaniales, l’État a consenti par l’article 6 7° de l’ordonnance numéro 2020 – 319 du 25 mars 2020 la suspension du paiement des redevances dues pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public consentie par contrats en cours ou conclus durant la période du 12 mars au 23 juillet 2020 inclus, dès lors que les conditions d’exploitation sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de la situation financière de l’exploitant.
Les collectivités délégantes et les délégataires, au regard des circonstances imprévisibles qui sont venues bouleverser l’économie générale des contrats, vont devoir s’accorder sur les réclamations présentées, les redevances domaniales pouvant à cet égard constituer une bonne variable d’ajustement.
Thomas Drouineau
Avocat associé
DROUINEAU 1927