Désir de rivage versus réalité : Le marché immobilier côtier à l’aube d’un retournement rapide.
Le « désir de rivage », très bien illustré dans l’ouvrage d’Alain Corbin « le territoire du vide » paru en 2018 chez Flammarion explique, depuis de nombreuses décennies, l’attraction qu’exerce sur nous le bord de mer.
Cela de pair avec un accroissement extrêmement important des coûts immobiliers en zone littorale, inversement proportionnelle au risque lié à l’érosion.
L’apparition de ce risque n’est pas récente, mais l’on observe depuis quelques mois une prise de conscience très importante de cette réalité, et des conséquences qu’elle emporte.
Plusieurs productions de l’État sont à cet égard significatives.
S’il est possible que dans bien des domaines, on puisse décrier l’action (voire l’inaction…) des pouvoirs publics et notamment de l’État, l’on ne saurait adopter une telle posture en ce qui concerne l’activité de l’État dans l’analyse du recul du trait de côte (RTC) et des conséquences qu’elle implique.
Certains diront, et ils n’auront pas tort, qu’une telle réaction est bien tardive.
L’on ne pourra qu’observer en effet que de nombreuses autorisations ont été délivrées, que les décrets d’application de la « loi littoral » ont été extrêmement retardés, et qu’enfin une forme d’attentisme a présidé pendant de nombreuses années à l’appréhension de l’érosion littorale.
Tel n’est désormais plus le cas, ce qu’illustre le rapport rédigé par l’Inspection Générale de l’Environnement et du Développement Durable, dont il faut recommander la lecture à tous les acteurs du littoral, propriétaires, agents immobiliers, collectivités (financement des conséquences du recul du trait de côte IGEDD novembre 2023).
Dans ce texte de 184 pages publié en novembre 2023, les auteurs dressent un tableau lucide de la situation liée à l’érosion, et rappellent que ce phénomène lent, aujourd’hui ralenti par les ouvrages de protection, est cependant inexorable, et s’accélérera dans la seconde moitié du siècle.
Les auteurs s’étonnent de ce qu’ils appellent un « certain désajustement » entre les communes ayant le plus de bien menacés à l’horizon 2050, et celles inscrites de manière volontaire dans le « décret-liste » de la loi « climat résilience ».
Ainsi est mise en exergue une tendance lourde, que l’on observe encore, et qui consiste à « mettre la tête dans le sable ».
Ces communes, fortes de leur attractivité touristique, de leur notoriété en tant que station de bord de mer, refusent d’ouvrir les yeux, et de prendre les mesures qu’impose le phénomène inexorable de l’érosion marine.
C’est ainsi qu’elles refusent de figurer sur ce fameux décret liste de la loi climat résilience.
La mission rappelle également que bien souvent ces mêmes communes ne sont pas même couvertes par un Plan de Prévention des Risques.
Et de s’interroger par conséquent sur ce qui pourrait y freiner l’urbanisation …
« Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ».
Sur les aspects financiers, qui sont effectivement au cœur du sujet, la mission indique s’être inscrite dans le rejet de tout dispositif d’indemnisation, « ceux-ci étant déresponsabilisant et ruinant tout effort de politique publique de prévention des risques ».
Et la mission d’en appeler à un dispositif de solidarité nationale.
Ce dispositif exclura l’achat de bien effectué en toute connaissance du risque d’érosion, et sera orienté vers les seuls propriétaires occupants de résidences principales.
Il est urgent de porter ces informations à la connaissance des propriétaires de résidences secondaires en bord de mer dont la valeur va, si ce n’est déjà fait dans certains territoires, se retourner inexorablement.
Cette réalité économique est à prendre en compte à l’aune également de l’intervention des collectivités publiques dans la gestion de ce qui va devenir leur patrimoine.
Il existe ainsi désormais un droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte (DPRTC) et le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC).
Autant d’outils dont les collectivités devront désormais s’emparer, dans une logique d’anticipation du risque d’érosion, à destination des propriétaires de résidences principales.
Ces derniers, en contrepartie de la cession du logement à la commune, la valeur du bien étant plafonnée à 300 000 € en références aux conditions d’intervention du fonds Barnier, pourraient peu à peu faire le deuil de leur logement et le quitter progressivement.
Il est rappelé que ces dispositions ne concernent absolument pas les résidences secondaires, dont le « laisser à la mer », pour reprendre le terme même de ce rapport sera la règle.
On retiendra, pour citer une dernière fois cet excellent rapport en page 41, que : « La mission considère que le « laisser à la mer » n’est pas une situation à vouloir systématiquement éviter, quand les conditions économiques de la maitrise publique sont aberrantes. »
Tout est dit.