Le 14 juillet 2016, la cour de justice de l’union européenne a rendu une décision, la fameuse décision « promoimpressa » (affaires n° C-458/14 et C67/15) qui a constitué le socle de la rénovation du droit domanial.
En France, le législateur a donné une suite radicale à cet arrêt, exigeant désormais que sur le domaine public, toute exploitation économique soit précédée de mesures de sélection préalable.
Il faut considérer le caractère non pas excessif mais radical d’une telle démarche, car ça n’est pas ce que dit l’arrêt « promoimpressa ».
Il s’agit d’examiner les conditions dans lesquelles peut avoir lieu un droit d’établissement dans une zone domaniale en vue d’une exportation économique des fins « touristico-récréatives. »
La cour de justice considère que les concessions octroyées par les autorités de l’État italien dans le domaine maritime et lacustre visant l’exploitation d’une zone domaniale à des fins touristico-récréatives constitue un régime d’autorisation qui recouvre les procédures administratives par lesquelles sont précisément octroyées ces concessions.
Et d’ajouter au considérant 41 que ces concessions peuvent alors être qualifiés d’autorisation au sens des dispositions de la directive 2006/123 en ce qu’elles constituent des actes formels quelles que soient leur qualification en droit national devant être obtenu par les prestataires auprès des autorités nationales afin de pouvoir exercer leur activité économique.
La cour ajoute que les concessions en cause concernent des ressources naturelles au sens de l’article 12 de cette même directive puisque les zones domaniales étaient situées sur les bords du lac de Garde ou sur les côtes maritimes italiennes.
Et la juridiction se pose la question de savoir si ces concessions doivent faire l’objet d’un nombre limité d’autorisation en raison de la rareté des ressources naturelles.
Elle pose comme condition la rareté des ressources naturelles à l’octroi limité du nombre d’autorisations.
Ainsi, à lire l’arrêt « promoimpressa », l’on s’aperçoit que la cour a considéré que l’octroi d’autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence notamment de publicité adéquate.
Le considérant 49 de l’arrêt est dénuée d’ambiguïté à cet égard en ce qu’il porte sur l’application de l’article 12 de la directive 2006/123.
La France n’a absolument pas agi de la sorte puisqu’elle a étendu à l’exploitation économique de toutes les dépendances du domaine public l’obligation d’une mesure de publicité et de sélection préalable.
Dans la réponse ministérielle du 29 janvier 2019, le gouvernement va encore plus loin puisqu’il considère au visa de l’arrêt « promoimpressa » du 14 juillet 2016, que cette démarche de publicité et de sélection préalable doit porter sur le domaine public mais également sur le domaine privé des collectivités.
Selon le ministère, l’occupation du domaine privé doit désormais donner lieu à des mesures de publicité et de mise en concurrence préalable analogues à celles qui sont déjà prévues par les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques pour le domaine public.(voir la question écrite n°12868).
S’agit-il du prélude à une rénovation du code général de la propriété des personnes publiques ?
Comment concrètement organiser sur le domaine privé des collectivités de telles publicités et mises en concurrence ?
On ne peut qu’être circonspect par rapport à une telle exigence.
Cette appréhension est d’autant plus vive que le fondement qui a conduit à la rédaction de la réponse ministérielle est assez étrange.
Il est indiqué que la décision de la cour de justice de l’union européenne du 14 juillet 2016 « promoimpressa », à la suite de laquelle a été adoptée l’ordonnance de 2017, soumet à des principes de transparence de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel sans objet de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques.
Or ce n’est pas ce que dit cette jurisprudence.
Au contraire, elle évoque la rareté des ressources naturelles et, en considération d’une telle rareté, oblige à la mise en oeuvre de mesures de sélection préalable.
Si l’on analyse de manière rigoureuse cette décision, l’occupation domaniale située ailleurs que sur les ressources naturelles et dans un domaine dénué de rareté, permettrait de considérer qu’aucune mesure de sélection préalable n’est imposée.
La France a fait une lecture de l’arrêt « promoimpressa » particulièrement radicale.
Le ministère étend encore cette radicalité au domaine privé, en prenant appui sur une décision qui ne dit pas ce qu’il veut pourtant bien en déduire.
Il faudra à mon sens faire preuve de pragmatisme pour ne pas ajouter à la gestion domaniale un degré de complexité qu’elle ne mérite pas.
En revanche, plus que jamais, les outils fiscaux et rédactionnels sont mis à la disposition des collectivités pour rédiger en la forme administrative leurs actes de cession et de vente et bénéficier d’avantages fiscaux significatifs.
Il serait très dommage pour les collectivités, déjà bien maltraitées, que le principe de liberté posé à l’article L2221 – 1 du code général de la propriété des personnes publiques soit oublié.
La réponse ministérielle telle qu’elle est proposée au mois de janvier 2019 foule aux pieds ce principe de liberté.
Ce dernier rejoint pourtant le principe de libre administration des collectivités rappelé également à l’article L 1111 – 1 du code général des collectivités territoriales.
L’État aurait grand tort de négliger ces principes essentiels qui laissent aux élus des territoires la charge d’animer et de dynamiser leur gestion. »
Thomas DROUINEAU
Ancien Bâtonnier
Avocat spécialiste en droit public